
- Transition énergétique
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Après une nette accélération en 2023, le rythme de baisse des émissions de gaz à effet de serre de la France a marqué le pas en 2024. Un résultat préoccupant pour la bonne marche de la transition énergétique.
Les émissions de gaz à effet de serre de la France poursuivent leur baisse. Mais pas à un rythme suffisant. C’est le principal enseignement qui ressort des premières estimations des émissions annuelles brutes de gaz à effet de serre de la France en 2024 publiées par le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (Citepa). D’après ces données provisoires*, les émissions françaises ont baissé de 1,8 % en 2024 par rapport à 2023. Elles se chiffreraient à 366 millions de tonnes de CO2 équivalent (Mt CO2e) contre 373 MTCO2e en 2023 (soit -6,7 Mt CO2e) soit le niveau « le plus bas observé depuis 1990 » note le Citepa. Le rythme de baisse est toutefois très nettement inférieur à celui observé entre 2022 et 2023 (-5,8 %). Plusieurs facteurs expliquent ce fort ralentissement.
Les émissions françaises ont baissé de 1,8 % en 2024 par rapport à 2023
Premier secteur émetteur de gaz à effet de serre en France (33 % des émissions nationales hors puits de carbone en 2022), les Transports demeurent un point noir. Les émissions du secteur n’ont que très faiblement baissé (-0,7 %) en 2024. Une légère évolution à la baisse imputée par le Citepa à « la diminution des ventes de carburant de 0,5 % entre 2023 et 2024 ». L’organisme prévient que « globalement » et faute d’une baisse suffisante, le secteur « s’écarte de la trajectoire » à suivre pour la période 2024-2028 dans le cadre de la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) et prévient que « de fortes réductions » seront nécessaires ces prochaines années pour atteindre les objectifs fixés.
Le rythme de baisse (-1,1 % en 2024) reste aussi largement insuffisant dans le secteur du bâtiment. En cause notamment : la baisse de 40 % du nombre de rénovations énergétiques en 2024 et une chute du nombre d’installations de pompes à chaleur et de chaudières biomasse alors même que les installations de chaudières et de brûleurs fioul et gaz sont, elles, en progression. Parmi les autres facteurs à prendre en compte : les hausses limitées des prix de l’énergie et la douceur des températures qui a rendu un peu moins important le besoin en chauffage.
Les émissions du secteur de l’industrie sont également en légère baisse (-1,8 % en 2024) avec un niveau estimé de 63,7 Mt CO2e contre 64,8 Mt CO2e en 2023. Une diminution liée notamment à une baisse de la production dans le secteur des matériaux de construction et des ressources minérales. La production industrielle de ciment (-8 %) et de verre creux (-14 %) a effectivement piqué du nez en 2024. À l’inverse, les émissions de la métallurgie ont augmenté en raison de la hausse de la production d’aluminium, tout comme celles du secteur de la construction, tirées par la hausse de la consommation de gazole non routier (GNR).
Le bilan est en revanche bien meilleur dans le secteur de l’énergie, qui enregistre une baisse marquée (-11,6 % en 2024), grâce notamment à un moindre recours aux centrales à gaz, à une meilleure utilisation du parc nucléaire et à une forte production hydraulique.
Dans sa note d’analyse, le Citepa rappelle que les objectifs climat de la France sont fixés par la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC). Avec un total, hors importations, de 366 millions de tonnes de CO2 équivalent (Mt CO2e) émises, ce résultat serait dans les clous de la deuxième stratégie bas carbone (SNBC-2) actuellement en vigueur. Mais il rate de peu les orientations définies pour la troisième stratégie bas carbone (SNBC-3) dont l’adoption est attendue dans le courant de l’année et qui trace le chemin vers l’atteinte d’objectifs réhaussés en cohérence avec les engagements européens pris dans le cadre du Pacte vert : une baisse de -50 % des émissions brutes de gaz à effet de serre de la France entre 1990 et 2030. « Ce projet (de SNBC-3) en cours de consultation, propose, au total hors puits de carbone, pour la période 2024-2028 un budget moyen provisoire des émissions de GES de 333 Mt CO2e » rappelle le Citepa, qui note donc qu’« une nouvelle accélération forte de la baisse des émissions est attendue afin de pouvoir atteindre le pallier envisagé dans la proposition de la SNBC-3 ».
Avec une baisse d’à peine -1,8 %, la France a raté une marche en 2024, et les prochaines n’en seront que plus hautes. « La poursuite de cette tendance nous dirige vers des émissions de 320-330 Mt de CO2eq en 2030, alors qu’il faut viser 270 Mt pour respecter nos engagements climatiques. Pour atteindre cet objectif, il faudrait porter le rythme annuel de baisse à 5 % sur les six années qui nous séparent de 2030 » prévient l’économiste Christian de Perthuis dans une note d’analyse. Selon M. de Perthuis, pour tenir ce rythme, il est impératif de respecter trois jalons : « une indispensable sobriété dans les usages et l’invention de nouveaux modèles économiques de la sobriété », « l’accélération du retrait des énergies fossiles qui passe par l’électrification rapide des usages dans les transports, l’industrie et le chauffage des bâtiments » et enfin « le renforcement du déploiement des énergies utilisant les flux solaires et éoliens qui sont les seules à pouvoir fournir en abondance l’électricité décarbonée dont le pays aura besoin d’ici 2040 ».
Pour atteindre cet objectif, il faudrait porter le rythme annuel de baisse à 5 % sur les six années qui nous séparent de 2030
Christian de Perthuis
Economiste français
L’infléchissement constaté en 2024 inquiète d’autant plus M. de Perthuis que « face à la hauteur de la marche d’escalier à franchir, une partie de la classe politique a entonné une dangereuse musique en faveur d’une révision à la baisse des objectifs climatiques ». D’autant que ces derniers mois, la transition écologique et énergétique de la France a montré des signes de fragilité. Le budget de MaPrimeRenov’ a été raboté à plusieurs reprises, ce qui a participé à la baisse drastique du nombre de rénovations thermiques des bâtiments. Faute d’un dispositif d’accompagnement pérenne, le déploiement des véhicules électriques stagne. Si le leasing social électrique sera reconduit en septembre prochain, le dispositif pourrait être moins avantageux en raison du bonus écologique qui a été réduit de presque moitié. D’autres dispositifs de transition ont du plomb dans l’aile, notamment les ZFE (zones à faibles émissions), menacées de suppression.
Face à ce tableau préoccupant, l’exécutif a tenté de remobiliser les troupes en convoquant lundi 31 mars un conseil de planification écologique. Suite à cette réunion, l’Elysée a publié un communiqué indiquant que « le gouvernement travaille à des mesures complémentaires permettant de baisser les émissions » pour rattraper le « retard » pris par les secteurs du transport et du bâtiment. C’est à cette occasion qu’ont été annoncées la relance du leasing électrique, la mise en œuvre d’une expérimentation « zéro passoire thermique » dans les collectivités volontaires ou encore « l’engagement des bailleurs sociaux à réaliser 120 000 rénovations énergétiques en 2025 ».