- Génie électrique
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Marché électrique européen : le rôle clé des interconnexions
Depuis un quart de siècle, l’interconnexion croissante des réseaux énergétiques entre les pays de l’Union a fait naître une Europe de l’électricité, avec de nombreux avantages à la clé. Explications.
Avec 305 000 kilomètres de lignes électriques de très haute tension fonctionnant sur la même fréquence, et plus de 400 interconnexions transfrontalières reliant près de 600 millions de citoyens, le marché européen de l’électricité est devenu l’un des plus vastes et des plus intégrés au monde. A date, il est composé par 40 gestionnaires des réseaux de transport électrique européens, qui peuvent échanger entre eux de l’électricité.
Solidarité énergétique
L’interconnexion est définie par la CRE (Commission de Régulation de l’Énergie) comme une “ligne de transport qui traverse ou enjambe une frontière entre des Etats membres » et qui relie, grâce à l’extension des câbles, les réseaux nationaux entre eux. A ce titre, la France est interconnectée avec l’Angleterre, la Belgique, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et la Suisse. A l’échelle continentale, cette interopérabilité des systèmes et des équipements crée un principe de solidarité entre les nations qui peuvent recourir, en cas de besoin, à des moyens de production situés à l’extérieur de leurs frontières.
Le 16 mars 2022, la synchronisation des réseaux électriques ukrainiens et moldaves, très dépendants de la Russie, avec le réseau européen avait démontré que des processus de compensation peuvent être mis en œuvre en l’espace de quelques heures. Cette même année, alors que la France connaissait une baisse de production d’électricité historique en raison notamment de l’indisponibilité momentanée d’une partie de son parc nucléaire, les importations avaient permis d’assurer 16% des besoins nationaux. De fait, en donnant la faculté d’importer ou d’exporter de l’électricité en temps réel, les interconnexions accroissent la sécurité d’approvisionnement et limitent les risques de coupures alors que les tensions géopolitiques et les effets du réchauffement climatique perturbent les chaînes logistiques et créent une grande instabilité sur les marchés.
Autre avantage, les interconnexions servent également à gérer les pointes de consommation en donnant la possibilité de moduler les fournitures d’électricité en fonction de la demande. En janvier 2019, en plein cœur de l’hiver, les importations d’électricité provenant des pays voisins avaient permis à la France de couvrir des pics de consommation particulièrement élevés en raison d’un recours accru au chauffage en lien avec des températures très basses.
Enfin, le couplage des marchés permet au consommateur européen de bénéficier de tarifs moins élevés car ce mécanisme limite les tensions entre l’offre et la demande en établissant un prix de gros commun. C’est un atout pour freiner l’augmentation des factures d’électricité.
Accélérer la transition
Les interconnexions transfrontalières facilitent également le développement des énergies renouvelables, et plus particulièrement de l’éolien et du solaire qui sont par nature intermittentes car dépendantes de la force du vent et du niveau d’ensoleillement. Or, il n’existe pas encore de technologie permettant de stocker l’électricité en grande quantité. En matière de renouvelables, ce qui est produit doit être utilisé dans l’instant afin de maintenir l’équilibre du système électrique.
Grâce aux interconnexions, il devient possible pour un réseau national d’exporter vers un pays voisin le surplus photovoltaïque ou éolien quand l’offre dépasse la demande, ce qui favorise la production et la consommation d’électricité décarbonée à travers le continent. C’est de cette manière, en exportant de l’électricité les jours ou le vent soufflait fort et en en important les jours sans vent, que le Danemark a pu développer l’un des importants parcs éoliens offshore au monde. Celui-ci couvre actuellement 20% de ses besoins.
Tout indique que le maillage des systèmes de production est appelé à jouer un rôle central dans la transition énergétique, et pourrait même être le principal moteur de l’électrification à grande échelle des usages.
Pour toutes ces raisons, le marché électrique européen est voué à devenir toujours plus intégré et solidaire dans les prochaines années. Alors que la France bénéficie déjà de 57 liaisons transfrontalières, RTE, qui est le gestionnaire du réseau de transport d’électricité tricolore, prévoit de doubler les interconnexions avec les pays voisins d’ici à 2035, ce qui doublera mécaniquement les possibilités d’échanges. Pour les autres Etats membres, les capacités de transmission transfrontalière vont augmenter elles aussi, avec 23 GW supplémentaires actuellement en cours de construction.
Fin mai 2024, les ministres de l’Énergie de l’Union ont d’ailleurs acté la mise en place d’un super-réseau européen, qui sera caractérisé par une intégration nettement plus poussée des infrastructures d’échange.
L’avenir est donc à une production et à une consommation de plus en plus collective et partagée, sésame d’une sécurité renforcée, d’une meilleure résilience et d’une plus grande performance dans la baisse des émissions de CO2. Encore plus qu’aujourd’hui, les interconnexions vont devenir vitales pour faire face aux crises et indispensables pour accélérer la décarbonation.
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