Electricité : la France peut-elle également subir un black-out ?
Le black-out qui a plongé la péninsule ibérique dans le noir le 28 avril dernier a marqué les esprits. Alors que les causes de l’incident restent encore mystérieuses, en France, la question se pose : un tel scénario est-il possible ?

C’est un événement qui a stupéfait l’Europe toute entière. Le 28 avril dernier, peu après la mi-journée, une gigantesque panne électrique a brutalement affecté la péninsule ibérique. « Le black-out est intervenu à 12h33. Il s’est traduit par la déconnexion de la quasi-totalité des unités de production connectées en Espagne et au Portugal et la perte instantanée de l’alimentation électrique via le réseau sur toute la péninsule et la déconnexion de celle-ci de la France et du Maroc » explique RTE, le gestionnaire français du réseau de transport d’électricité, dans une foire aux questions dédiées à l’incident.
Une panne historique en Espagne et au Portugal
Si le courant a pu être rapidement rétabli – il l’était à hauteur de 99 % au lendemain matin de l’incident selon REE (Red Eléctrica de España), le gestionnaire du réseau espagnol –, plusieurs dizaines de millions de personnes ont été privées d’électricité durant quelques heures en Espagne et au Portugal. Durant cet intervalle, le trafic ferroviaire a été paralysé, bloquant des milliers de personnes dans les trains qui étaient en circulation. Dans les grandes agglomérations comme Madrid, Barcelone et Lisbonne, les passagers du métro ont dû être évacués tandis qu’en surface, en l’absence de feux de circulation, des embouteillages monstres ont été constatés. Rien qu’à Madrid, des centaines d’opérations ont dû être menées pour secourir les personnes coincées dans des ascenseurs. Fort heureusement, les hôpitaux ont pu continuer de fonctionner grâce aux générateurs de secours. Ils ont toutefois vu affluer les patients appareillés privés d’oxygène.
Le 29 avril, les autorités espagnoles ont indiqué être en train d’enquêter sur la mort de 7 personnes supposément en lien avec la panne d’électricité. Trois membres d’une famille seraient notamment décédés en Galice après une inhalation de monoxyde de carbone consécutive à l’extinction soudaine d’un appareil ménager.
L’origine du black-out : une enquête complexe qui va prendre du temps
Si les conséquences de cet incident majeur ont pu être graves, qu’en est-il des causes ? Elles sont pour l’heure inconnues. Lors d’une audition au Congrès, le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez a annoncé qu’il faudra « du temps » pour les déterminer précisément. « Le processus va prendre du temps, car pour le faire, il faudra examiner (…) de manière minutieuse environ 756 millions de données » a expliqué le dirigeant espagnol, invitant à prendre garde aux « conclusions hâtives » qui ont fleuri notamment sur les réseaux sociaux. De son côté, RTE confirme que « la réalisation d’une analyse technique et scientifique rigoureuse pour des incidents de grande ampleur de ce type est chronophage » et « n’est, par méthode, jamais réalisée ‘à chaud’ ». D’après le gestionnaire français du réseau de transport d’électricité, l’enquête va durer au moins « plusieurs semaines » et implique « la reconstitution détaillée du fonctionnement précis du système ibérique, français et même européen dans les heures qui ont précédé le black-out ».
ENTSO-E, l’association des gestionnaires de réseaux européens, a annoncé que, « conformément à la législation européenne relative à un incident aussi exceptionnel et grave », un groupe d’experts a été mis en place pour enquêter sur les causes de l’incident. Selon RTE, ce groupe d’experts « devra rendre son rapport au plus tard 6 mois après la date de l’incident, avec des étapes intermédiaires de publication de l’analyse de l’événement ». À ce stade, « l’information technique préliminaire nous dit qu’une perturbation a été enregistrée d’abord dans le sud de l’Espagne, ce qui pourrait avoir généré une perte de production et quelques secondes après, deux autres ont eu lieu, cette fois dans le sud-ouest du pays » a détaillé le Premier ministre Pedro Sánchez devant les députés espagnols. Selon lui, les deux premières perturbations ont été « surmontées » par le système électrique mais pas la troisième qui « s’est étendue à l’ensemble du système électrique péninsulaire ».
Black-out en France : un risque maîtrisé mais non exclu
S’il faudra donc du temps avant de connaître les raisons précises qui ont provoqué cette panne d’électricité géante, reste désormais une question qui taraude en France, voisin direct de l’Espagne : un black-out de cet ampleur est-il possible dans l’hexagone ? La première chose à savoir est que la France a déjà connu des pannes d’électricité massives par le passé. En décembre 1978, lors d’un pic de consommation en pleine vague de froid, une défaillance sur une ligne à très haute tension dans l’est du pays a provoqué une réaction en chaîne qui s’est propagée à la quasi-totalité du système électrique français. La panne avait duré plus de 4 heures et avait concerné plus des trois quarts du territoire. À l’époque, le PDG d’EDF, Marcel Boiteux, avait parlé d’un réseau « proche de sa limite » et « fragile » en raison d’un déséquilibre de production entre l’est et l’ouest du pays. Depuis, la France n’a plus jamais connu de tel black-out même si des coupures de courant massives ont eu lieu en janvier 1987 suite à un incident sur la centrale à charbon et au fioul de Cordemais et en décembre 1999 suite aux tempêtes Martin et Lothar. Plus récemment, en 2006, la coupure d’une ligne à très haute tension en Allemagne avait déclenché une cascade de déconnexions impactant 15 millions de foyers en Allemagne, en France, en Italie ou encore en Espagne.
Concernant la possibilité qu’un événement similaire à celui qui a frappé l’Espagne impacte la France, RTE y répond très directement sur sa page dédiée à l’incident. « Aucun expert du système électrique ne dira qu’un black-out est impossible, et ce, quelle que soit la nature du mix électrique » assure le gestionnaire du réseau de transport d’électricité, rappelant que son travail consiste précisément à « formuler des préconisations qui réduisent la probabilité des coupures ». « On a des procédures pour éviter le black-out mais aussi pour réalimenter progressivement le réseau si le black-out devait se produire » avait confirmé Jean-Paul Roubin, directeur clients et exploitation de RTE, le 29 avril dernier sur France Inter. « Ce sont des procédures que l’on teste sur des simulateurs mais aussi en situation réelle notamment pour vérifier la capacité de redémarrage des moyens de production » avait-il précisé. Sur l’antenne de BFMTV, il avait, par ailleurs, indiqué que si un tel événement venait à se produire, « des barrières de défense, que RTE a mises en place, existent sur le système électrique français ». « Ces barrières vont permettre de réduire l’impact de l’incident, c’est-à-dire que s’il y a une zone malade sur le réseau électrique, on va l’isoler du reste du système pour éviter la contamination » avait détaillé Jean-Paul Roubin.
Ces barrières vont permettre de réduire l'impact de l'incident, c'est-à-dire que s'il y a une zone malade sur le réseau électrique, on va l'isoler du reste du système pour éviter la contamination.
Jean-Paul Roubin
Directeur clients et exploitation, RTE
La France, carrefour de l’électricité européenne
S’il est donc impossible d’affirmer que la France est à l’abri d’un événement de ce type, il faut aussi considérer la spécificité du système espagnol par rapport au système français. Le réseau espagnol bénéficie d’une seule interconnexion, via la France, avec le réseau européen. C’est d’ailleurs cette interconnexion qui « a permis à la France de fournir de l’électricité au système électrique espagnol » selon Jean-Paul Roubin, ce qui a participé à la reconstruction rapide de ce système. De par sa position centrale, la France est bien plus interconnectée au réseau européen. Considérée comme un carrefour électrique européen, elle est reliée à six Etats voisins (Allemagne, Belgique, Espagne, Italie, Royaume-Uni et Suisse). À partir de 2027, elle sera également connectée avec l’Irlande. Ces interconnexions jouent un rôle clé pour favoriser les échanges d’électricité entre les pays. Sont-elles pour autant un facteur de risque pour la France en cas de défaillance dans un pays voisin ? Pas nécessairement, comme le prouve le récent exemple de la péninsule ibérique. « Lors de la survenue du black-out, la péninsule ibérique a été automatiquement déconnectée de la frontière française par l’action des dispositifs de protection qui visent à protéger les systèmes électriques européens contre la propagation incontrôlée de ce type d’incidents », décrypte RTE qui souligne que « sans l’activation de ces protections, le phénomène aurait pu s’étendre en France et en Europe ». Ce sont d’ailleurs ces dispositifs qui ont permis de rapidement réalimenter le Pays Basque français en électricité.
Quelles que soient les conclusions de l’enquête sur l’origine de l’incident, celles-ci devraient permettre à RTE de renforcer son dispositif de protection du système électrique français. Le gestionnaire du réseau de transport d’électricité indique ainsi qu’il « intégrera le retour d’expérience du black-out ibérique dans la mise à jour de son plan de protection et de reconstitution du réseau ». Plus largement, les conclusions de l’enquête en cours seront déterminantes pour ajuster les protocoles de sécurité et renforcer la résilience de l’ensemble du réseau européen.
De par sa position centrale, la France est bien plus interconnectée au réseau européen. Considérée comme un carrefour électrique européen, elle est reliée à six Etats voisins (Allemagne, Belgique, Espagne, Italie, Royaume-Uni et Suisse).
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